Le blog de yacs

Anthropologie de l'utilisateur (LIFT 2008)

3,1 milliards d'utilisateurs de téléphones mobiles, sur 6,5 milliard d'individus en 2007. Pour beaucoup, le mobile est le seul équipement électronique et connecté de la maison.

Il ne s'agit plus seulement d'adapter les produits aux gens, il faut aussi innover en observant les utilisateurs de système. Que peut-on retenir du concours Nokia Open Studio par exemple ? Younghee Jung retrace quelques éléments clés de la mise en place de trois équipes autonomes et du processus de capture locale des idées, de sélection des meilleures propositions, ainsi que les cérémonies de remerciements. Le design sélectionné en Inde reflète le besoin d'information d'une ménagère chez elle, actuellement coupée du monde. A Rio, la pollution atteint de tels niveaux que le téléphone écolo s'impose. Les exemples rapportés reflètent, en réalité, les principaux problèmes rencontrés par les communautés où les équipes de Nokia Open Studio ont été créées.

L'un des challenges pour les entreprises innovantes est le temps imparti pour répondre aux sollicitations du monde réel. L'opération organisée par Nokia sur deux semaines, incluant des recherches ethnographiques, des sondages dans la rue, et un concours ouvert à tous a permis d'apporter beaucoup d'idées, allant largement au-delà de la simple définition de nouveaux produits.

D'après les chercheurs de Cornell, 100% des gens qui entrent des données personnelles dans un système informatique mentent sur leur poids ou leur taille. A l'heure des réseaux sociaux, Genevieve Bell, d'Intel, nous fait part de ses observations sur les raisons et les mécanismes du mensonge en ligne. Sur le plan culturel, le mensonge a toujours été considéré comme mauvais, sauf quand la fin justifie les moyens. Les grandes religions ont pratiquement toutes structurées les règles relatives à la vérité et au mensonge. Mais conserver et raconter des secrets est beaucoup plus ambigu. Partager un secret est un ciment social important. Bien sûr, certaines informations doivent rester confidentielles. L'observaton montre que nous disons de 6 à 200 mensonges chaque jour. Comment allez-vous aujourd'hui ? Très bien et vous. Est-ce si vrai ? La motivation est, dans 40% des cas, de ne pas apporter la contradiction à nos interlocuteurs. Et les hommes disent 20% de mensonges de plus que les femmes, et pas sur les mêmes sujets. Peter Steigniz pense que le mensonge est nécessaire, non pas en tant que négation de la vérité, mais de la réalité. Il est donc une protection vis-à-vis du réel.

L'idée du partage libre de l'information entre les personnes est une idée relativement nouvelle à l'échelle de l'humanité. En réalité, la culture et l'histoire introduisent une structure de la connaissance en couches superposées. Il ne suffit pas d'exposer une information pour que toutes ses facettes apparaissant clairement ni de façon homogène à tous.

Sur les communautés en ligne, le mensonge devient un jeu, parce qu'il n'y a plus les barrières culturelles habituelles (honte, peur, réprimande). On peut donc se projeter plus facilement vers ce que l'on n'est pas, pour améliorer sa réputation et sa visibilité. En plus, de nouveaux services en ligne favorisent le mensonge, en mettant en avant le sensationnel (= paparazzi), voire en fournissant des alibis contre de l'argent.

La différence entre nos idéaux et la réalité persiste, et donc l'âge de l'information numérique doit traiter correctement cet aspect des choses, notamment sur les questions autour de l'identité numérique. Que devons-nous exposer ou protéger de nous nous-mêmes, et quelle confiance faisons-nous aux ordinateurs qui nous fournissent de l'information ?

Pour Paul Dourish, de l'université de Californie, les implications de l'ethnograpie sur le design ont été largement sous-estimées. Par exemple, le terme de mobilité est exploité le plus souvent sur l'angle technologique : GPS, connection radio, etc. Pour l'humain pourtant, la mobilité fait référence au déplacement, à la migration, au lien à la tribu malgré la diaspora, etc.

L'analyse du système de repérage des aborigènes est instructif. L'espace y est structuré par l'histoire et par les rituels. Des rituels d'exclusion évitent certaines relations entre individus ou entre groupes. D'autres endroits sont identifiés comme pôles de puissance et d'efficacité. Au final, la géographie est construite sur des lieux (et non des frontières), qui ont des rapports aux gens. Ton grand-père est né dans un lieu "bien", mais pas ta mère, etc.

Les réfugiés, d'un autre côté, racontent souvent des histoires de leur déplacement comme forme principale d'identité. La statut de réfugié y est perçu comme une forme de pureté. Et le groupe définit aussi souvent ses propres formes de moralité et de règles de vie, reproduisant la tribu originale dans un environnement différent.

Au final, l'ethnographie devient intéressante lorsqu'elle permet d'élargir le cadre, d'intégrer les produits et solutions informatiques dans des formes de vie cohérentes pour les individus et les communautés.

Bernard Paques
le 7 fév. 2008 à 12:06 GMT
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Bernard Paques
le 7 fév. 2008 à 12:01 GMT
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